L'agent parental

Je suis surpris par le nombre de parents qui se croient les agents de leurs enfants.

Un agent va souvent commencer sa phrase par « mon client aime, mon client désire, mon client veut ». Il est vrai que, dans une relation d’affaires, on espère que l’agent connaît les besoins de son client et peut les revendiquer, les négocier. Dans une relation parentale, c’est autre chose.

D’abord, notre enfant n’est pas un client dont on doit faire la promotion, il doit apprendre à utiliser sa tête pour parler de lui-même et exprimer ce qu’il veut. Je ne dis pas de le laisser négocier son REEE à sept ans. Mais, lorsqu’un étranger lui adresse la parole, pour l’amour de ciel, ne répondez pas pour lui !

Je sais que, parfois, nous avons peur de ce qui sortira de cette petite bouche inexpérimentée, mais je crois que c’est un risque à prendre. Votre travail est de l’inviter à répondre. Et il ne faut pas tomber dans le panneau de penser : « Mon client est gêné, je vais répondre pour lui ! » La gêne, ça se travaille. Je ne dis pas que ça disparaît, mais ça se travaille. Je vois trop de parents dire devant l’enfant que celui-ci est gêné. Devant l’enfant ! L’enfant perçoit alors clairement que son comportement est approuvé par le parent et il va ainsi le reproduire à chaque fois.

Mais il y a pire. Moi, j’aime poser des questions aux jeunes enfants pour stimuler leur imagination. Si je veux savoir leur nom et qu’ils me répondent, j’aime ensuite demander : « Pourquoi tu t’appelles comme ça ? » Vous devriez voir le regard des enfants, à la fois pris de court et amusés, occupés à chercher quoi répondre. Parfois, leurs propos sont farfelus, parfois plus terre à terre. Mais si, par hasard, l’agent est à côté, il commence aussitôt son travail et tue le plaisir potentiel que l’enfant aurait pu avoir à réfléchir et à inventer. Le monde de l’imaginaire, si important, vient d’être fermé par l’agent.

C’est d’une grande tristesse de voir des parents répondre pour les enfants… Les parents ne veulent tellement pas laisser de zones floues que, si on fait le pitre avec les enfants, ils réagissent immédiatement : « Ben voyons, il est bien drôle, le monsieur, mais qu’il est rigolo, oh ! Mais est-il vraiment sérieux ? »

Pouvez-vous les laisser vivre la situation et les laisser comprendre eux-mêmes ce qui se passe ?

Il y a eu une grande mode d’émissions jeunesse qui dictaient aux enfants comment se sentir, comment réagir, comment vivre telle ou telle situation, comme s’il n’y avait aucune nuance possible. Pas de place à l’interprétation d’une situation. Cessons de standardiser les émotions et laissons place à l’imagination. Des enseignants du niveau collégial m’ont confirmé que cette génération d’enfants à qui l’on dictait comment se sentir n’avaient plus d’opinion sur des sujets brûlants ou de vision personnelle sur des situations données.

Mais attendez… il y a pire encore (ô moi l’alarmiste !). Je travaille parfois dans des marchés. Un marché extérieur est la quintessence du bonheur. C’est vrai ! Avez-vous déjà vu des gens malheureux au marché ? Tout le monde s’y croise : les maraîchers, les créateurs agroalimentaires, le gars du miel, le gars du sirop d’érable, la femme qui cueille les champignons, l’autre qui fait du kombucha et plus encore. (Moi, je vends des olives, farcies pour un ami.) Une fois, j’ai donné une olive à un parent pour lui faire découvrir mon produit. Pendant qu’il goûte, j’en offre une également à son enfant… et l’histoire d’horreur commence ici. L’enfant regarde le parent, les yeux allumés par ma proposition alléchante, pour demander la permission de prendre l’olive du gros monsieur étranger, et le parent (qui se délecte de mon olive la meilleure de la planète) dit : « N’en prends pas, tu n’aimeras pas ça. »

Non, mais c’est ti pas beau, ça. Le parent décide ce qui est bon ou pas à la place de l’enfant. Le parent décide si l’enfant va aimer ou pas. Pendant que je convertis le parent, l’enfant, lui, n’a aucune chance d’essayer quelque chose de nouveau. Vous, parents, qui tentez de faire découvrir de nouveaux aliments aux enfants, vous savez que ce n’est pas qu’avec une maigre bouchée que l’enfant apprendra si l’aliment lui convient ou pas. Ça prend entre quinze et vingt fois avant de savoir réellement. Je sais que vous connaissez votre enfant. Mais l’expérience prouve que les goûts évoluent. Faisons confiance à l’enfant et au temps, mais, surtout, soyons ceux et celles qui l’amènent à se dépasser !

Et c’est vrai pour tout, même lorsqu’on est grand, majeur et vacciné. Manger et/ou essayer quelque chose de nouveau ne veut pas dire qu’en une fois, nous savons tout. Il y a l’adaptation, le contexte, la disponibilité. Tous ces facteurs nous permettent une sorte de deuxième chance… plusieurs fois !

Alors, plutôt que d’être l’agent qui décide pour son client, soyez le parent confiant qui pousse son enfant à plus, à mieux, à encore à plus loin, vers l’infini et au-delààààààà !

MARTIN LAROCQUE
Conférencier et auteur du livre Quand t'éduques, éduque.

Papa blogueur Nanny secours
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Par Martin Larocque

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