La magie de l'empathie

Tous les jours dans mon cabinet, les parents me demandent des conseils pour mieux communiquer avec leurs enfants ou leurs adolescents. Certains me disent : « ­Il n’écoute pas. » D’autres se plaignent : « ­Il refuse d’aller à l’école, je ne le comprends pas. » ­Ces parents ont soif de conseils pour améliorer leur communication avec leurs enfants. Le secret consiste à y ajouter une petite épice qui s’appelle l’empathie. Avec un peu d’études et de pratique, vous en saupoudrerez la majorité de vos communications.

Depuis que la technologie a envahi nos vies, nous ne parlons plus ou beaucoup moins qu’avant. Qui dîne en famille sans regarder la télévision ? ­Combien de parents organisent régulièrement des conseils de famille pour discuter des problèmes et les gérer ? ­La communication souffre d’une maladie pourtant bien curable. Pour aider mes patients, j’ai décidé d’en faire le thème de mon dernier livre intitulé ­La magie de l’empathie. Je vous en offre un extrait qui concerne la communication avec les enfants et les adolescents.

Les jeunes enfants
La communication avec les jeunes enfants demande un effort particulier. Les enfants de moins de huit ou neuf ans sont incapables de comprendre les expressions complexes. Pour vous en convaincre, je vais vous raconter l’histoire d’une visite scolaire que j’ai faite auprès d’enfants de maternelle et de première année.

L’institutrice m’avait invitée pour présenter mon livre ­La magie du corps humain, de la série des aventures de ­Félix et ­Boubou. Dans ce livre, j’ai ajouté des expressions sur le corps humain, par exemple : 

• Avoir le cœur gros.
• Avoir une grande langue.
• Se faire tirer les vers du nez.
• Se mettre les pieds dans les plats.

Les professeurs et moi avons eu bien du plaisir à écouter le sens que les enfants donnaient à ces expressions. Aucun d’entre eux ne les comprenait. Ils ont tous eu réellement cru que des vers pouvaient leur sortir du nez. Quand je leur ai demandé ce qu’ils feraient s’ils avaient une cervelle d’oiseau, deux élèves ont vite levé leur main. Le premier m’a dit qu’il pourrait enfin manger des vers de terre, le deuxième qu’il volerait ­au-dessus de sa maison.

Cette histoire illustre l’importance d’adapter votre vocabulaire à la capacité de comprendre de votre interlocuteur, en particulier avec les enfants. Ne soyez pas étonné si votre enfant refuse de sortir si vous dites qu’il pleut des clous dehors.

L’importance de vulgariser s’applique également lorsqu’il y a un écart de connaissance entre vous et votre interlocuteur (médecin et patient, avocat et client, ingénieur et client). Un patient m’a déjà dit que les suppositoires que je lui avais prescrits l’avaient guéri, mais qu’ils goûtaient mauvais. Si vous maîtrisez un vocabulaire spécialisé et dialoguez avec un enfant, ­assurez-vous d’être bien compris.

Respecter sa parole et être conséquent
Lorsque nos deux garçons avaient huit et neuf ans, nous les avons amenés à ­ ­Disney pour deux semaines. Afin de leur faire comprendre la valeur du voyage, ils ont dû choisir avec nous les hôtels, les activités et les restaurants. La consigne était claire dès le départ : le budget du voyage devait être respecté. Nous avons donné à chaque enfant un montant pour acheter des souvenirs, et chacun devait le gérer pour deux semaines. Nous pensions que ce serait une bonne leçon de vie pour eux.

Tout s’est passé exactement comme prévu : les enfants n’ont jamais demandé à avoir plus de sorties ou davantage de cadeaux. Un soir que j’étais fatiguée, j’ai dit à mon mari : « ­Allons manger une pizza. »

Un de mes fils se mit immédiatement à pleurer. Il était inconsolable. Il ne voulait pas aller manger au restaurant. Je ne comprenais pas : la pizza était l’un de ses mets favoris ! ­Entre deux larmes, il a fini par réussir à nous rappeler que j’avais dit que, si nous dépassions notre budget, nous n’aurions plus d’argent. Dans sa tête d’enfant, nous deviendrions pauvres et nous ne pourrions plus rien acheter du tout. Finalement, nous sommes restés manger au condo pour respecter notre engagement, à l’exemple des enfants.

Cette histoire illustre à quel point la parole prononcée par une figure d’autorité peut être puissante. Les enfants sont très sensibles aux propos de leurs parents ou des autres adultes importants dans leur entourage.

Avec les ados
Je crois sincèrement que la meilleure école pour apprendre et pratiquer vos compétences en communication authentique se trouve tout près de vous à la maison, ou au bureau. Pour illustrer mon propos, j’ai choisi de vous raconter une négociation entre mon fils de 16 ans et moi.

Mon fils est arrivé dans la cuisine en m’annonçant qu’il voulait coucher chez son ami. Je lui ai demandé l’adresse et le numéro de téléphone des parents pour m’assurer de la présence d’une personne responsable. Les hormones d’adolescent ont repéré une belle occasion d’exploser comme un volcan. Il n’était pas question pour lui de dévoiler les secrets entourant son projet. Je venais de lire un livre écrit par ­Stephen R. Covey (Les 7 habitudes en action). J’avais là l’occasion de pratiquer une technique suggérée par l’auteur nommée les « ­Les trois vies ». J’ai calmement cherché un jeu de cartes, déposé trois cartes devant moi et trois autres devant mon fils. Je l’ai invité à jouer au jeu de la négociation.

Intrigué, il a accepté d’écouter les consignes. « ­Je comprends que tu veux aller coucher chez ton ami. De mon côté, je veux savoir où tu vas et parler aux parents. Nous allons parler calmement pour trouver un terrain d’entente. Nous avons chacun trois vies. Si l’un de nous crie, coupe la parole de l’autre ou s’emporte, il perd une vie. Le but est de nous entendre pendant que nous avons encore des vies. Celui qui perd ses trois cartes perd la partie. Si tu perds tes cartes, tu n’iras pas chez ton ami. Si je perds mes cartes, tu partiras sans me dire où ni me laisser parler avec les parents de ton ami. Mais on peut trouver une solution ­gagnant-gagnant pendant que nous avons encore des cartes. Cette solution sera celle retenue. »

À mon grand étonnement, il accepta le défi. Nous avons commencé à jouer à ce jeu de la négociation. Ce ne fut pas facile avec un adolescent déterminé. Nous avons tous les deux perdu deux cartes. La situation se corsait. Aucun de nous ne voulait perdre. Ce fut le moment tournant de la discussion.

À ce moment, je lui ai demandé comment il comptait se rendre chez son ami. Il répondit qu’il prendrait l’autobus et que le trajet prendrait une heure. Je lui ai offert d’aller le conduire et d’aller le chercher en voiture en échange des renseignements que je demandais, puis j’ai laissé le silence faire son œuvre.

Il a probablement réalisé qu’un trajet en voiture et au chaud de 20 minutes valait mieux que d’attendre dans le froid un bus qu’il risquait de rater. Il finit par sourire avant d’accepter mon offre.

Nous avons réglé notre différend sans chicane. J’ai pu téléphoner aux parents, mais j’ai dû faire l’effort de transporter mon fils chez son ami.

Je n’ai jamais oublié le jeu des trois vies. Je l’ai refait à quelques reprises avec mon fils, mais après deux ou trois fois, nous n’avions plus besoin des cartes pour trouver des solutions à nos conflits, qui ont diminué en fréquence et en intensité.

Ce petit truc tout à fait gratuit fonctionne à merveille avec des adolescents qui aiment le défi. Mais attention, ils feront tout pour vous faire perdre vos cartes. Si vous décidez d’intégrer l’empathie dans vos communications avec vos enfants, ­attendez-vous à de la résistance, mais persévérez : ils vont s’adapter et aimeront leurs séances de discussion avec vous.

Dre ­NICOLE AUDET
Médecin de famille et auteure Agoo, centre de santé et de mieux-être pour enfants de Laval
Éditions Dre Nicole

www.nicoleaudet.com

La Dre Nicole Audet a signé plus de 30 livres jeunesse ainsi que l’ouvrage Votre guide Santé Info. Elle a vendu plus de 150 000 livres et a remporté de nombreux prix littéraires internationaux au cours de sa carrière. Les albums des aventures de Félix et Boubou sont offerts en français et en anglais.

Référence : Cet article est un extrait tiré du livre ­La magie de l’empathie, ­Dre ­Nicole ­Audet, ­Les éditions ­Dre ­Nicole, 96 pages, 2019.

Par Dre Nicole Audet

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