Gestion de la douleur pour en finir avec la culpabilité

Geneviève a accouché d’un beau poupon en santé. Pourtant, en me racontant cet important moment, elle est amère. Elle a été saisie par la force de la douleur, ébranlée par sa durée. Elle a finalement eu recours à la péridurale, épuisée. Aujourd’hui, elle a l’impression de ne pas avoir « réussi » son accouchement. Et si on parlait de la douleur ?

D’entrée de jeu, il est important de préciser que la douleur est un phénomène subjectif. La perception de son intensité est unique à chacun, de même que notre seuil de tolérance personnel.

La douleur à travers le temps et les civilisations
Il y a longtemps, les peuples associaient la douleur aux dieux : c’était une punition ou une malédiction. Dans la tradition asiatique, on cherche à maîtriser les émotions ressenties face à la douleur plutôt que la douleur ­elle-même. Dans la tradition ­judéo-chrétienne, particulièrement présente dans notre société il y a quelques décennies, la douleur permettait de se racheter, d’expier ses fautes. Elle avait une utilité : elle permettait de gagner sa place au paradis.

Dans nombre de cultures traditionnelles à travers le globe, il existe des rites initiatiques qui font vivre des expériences de douleur afin de permettre à l’initié de prendre conscience de sa capacité à y faire face. Dans nos sociétés modernes, cette notion que la douleur a un sens a disparu, elle est devenue insensée, inacceptable, et notre rapport à la douleur se résume, au bas mot, à vouloir la faire disparaître.

De surcroît, la douleur d’autrui nous cause autant d’inconfort que la nôtre. Nous nous sentons démuni et nous avons cette urgence de « secourir », de faire en sorte que cela cesse. Pour l’autre, mais ­peut-être aussi pour mettre fin à ce malaise que nous ressentons ? ­Trop souvent, nous confondons douleur et souffrance, qui ne sont pas du tout la même chose : 

• La douleur est physique, ponctuelle, localisée. Elle ne dure qu’un moment et nous touche dans notre être physique.
• La souffrance est émotive, psychique et morale, plus globale dans notre être et associée à un sentiment de solitude face à l’épreuve traversée.

Il y a donc une énorme différence entre les deux ; le sachant, cela peut complètement transformer notre manière d’accompagner une personne qui vit de la douleur ; car cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit en détresse. Le rôle de la personne aux côtés de celle qui éprouve de la douleur devient alors essentiel pour transformer l’expérience : l’accompagnement permet de passer à travers plus facilement, il permet à l’épreuve d’être structurante. Alors, avis aux partenaires qui peuvent se sentir impuissants aux côtés de celle qui accouche : vous avez un grand rôle à jouer !

L’accouchement est l’une des dernières formes d’initiation dans notre société. En nous confrontant à la douleur de l’accouchement, nous découvrons nos ressources intérieures. C’est souvent cette quête intérieure, intime (et souvent inconsciente), qui s’exprime à travers cette volonté d’accoucher sans intervention externe. Et c’est pour cela, aussi, que les mots manquent pour répondre à tous ceux qui nous disent avec bienveillance : « ­Pourquoi souffrir pour rien quand la médecine peut nous aider ! » ­La volonté d’une femme d’accoucher en traversant la douleur contraste avec le discours largement véhiculé dans notre société où l’on aspire à créer enfin un accouchement sans douleur. Dans un moment de grande vulnérabilité, ce n’est plus possible d’expliquer. Seules face à leur douleur, de nombreuses femmes ont finalement recours à la péridurale, qui ­court-circuite ce processus intime qu’elles traversaient. Cela les laisse avec une sensation de ne pas avoir été « à la hauteur », avec l’impression d’avoir « raté » leur accouchement. La péridurale anesthésie le corps, mais pas le cœur et la tête, et ces pensées remontent souvent, une fois l’accouchement terminé…

Une question de contexte
La douleur, et la manière dont elle a été vécue lors de votre accouchement, ce n’est en fait que la pointe de l’iceberg. C’est ce qui a été observable. Mais votre sensation aujourd’hui, le souvenir que vous avez de votre accouchement, est composé de données bien plus subtiles…

Dans la nature, lorsque la femelle mammifère s’apprête à mettre bas, elle s’isole dans un coin tranquille et sécuritaire, et le travail s’amorce. Si, pour une raison ou une autre, une menace se pointe, le travail stoppe littéralement afin qu’elle puisse trouver un lieu plus approprié pour donner naissance à ses petits.

Si notre réalité est différente de la femelle en forêt, nous expérimentons malgré tout des besoins similaires lorsque nous accouchons. Nous pouvons nous aussi nous sentir en présence d’une menace à notre sentiment de sécurité, ce qui interfère avec le travail d’accouchement.

Notre cerveau est composé de trois niveaux. Le premier se nomme le cerveau reptilien. C’est le niveau le plus primitif, là où sont enchâssées toutes nos fonctions réflexes : la respiration, le cœur qui bat, le sang qui circule, ainsi que les réflexes liés à notre survie – fuir, se battre ou s’adapter. Nous avons le second niveau, le cerveau limbique, en commun avec les autres mammifères. C’est là où nous encodons notre expérience personnelle, c’est le siège des émotions, des ressentis, des intuitions et, vous l’aurez deviné, c’est ce cerveau qui est aux commandes lorsque nous accouchons. Finalement, le dernier niveau, c’est le cortex, que nous avons en commun avec les primates les plus évolués. C’est notre cerveau rationnel, là où nous réfléchissons, analysons, parlons, etc.

Pour que le travail se déroule harmonieusement, la maman doit pouvoir être gouvernée par son cerveau mammifère. C’est lui qui régule l’accouchement, qui lui permet de suivre ses sensations, ses intuitions, ses besoins. Cependant, tout comme la femelle en forêt, la femme qui accouche peut ressentir des « menaces », ce qui aura pour effet de la sortir de son état second propre à l’accouchement, de ralentir le travail et de lui faire ressentir davantage la douleur puisqu’elle « remontera » dans son cortex. Le sentiment de sécurité est donc essentiel pour pouvoir plonger dans l’expérience. À l’hôpital où il peut y avoir de nombreux monitorings, examens et irruptions dans la chambre, la parturiente demeure en contact avec la réalité médicale/technique dans son cerveau rationnel. Or, tout ce qui la sort de sa bulle et la ramène au cérébral vient nuire au processus, car ce n’est pas avec le cortex que l’on accouche…

Et maintenant ?
Tout d’abord, revenons à cette sensation inconfortable de ne pas avoir traversé la douleur de l’accouchement comme vous l’auriez souhaité. ­Permettez-vous de ressentir cette amertume, cette déception. Accueillez cette émotion, elle est légitime. Il s’est réellement passé quelque chose d’important pour vous, et il se peut que le fait d’avoir anesthésié ce processus de naissance ne soit pas aussi banal qu’on veut vous le faire croire. Ça ne signifie pas que vous êtes coupable, que vous n’avez pas été à la hauteur ou que devez rester avec cette sensation. Faites preuve de bienveillance envers ­vous-même : vous avez fait pour le mieux avec les ressources dont vous disposiez. Ce qu’il y a d’intéressant à y revenir aujourd’hui, c’est de transformer en vous l’empreinte qu’a laissée cet accouchement.

Si vous aviez une baguette magique, que ­changeriez-vous ? ­Il y a fort à parier que ce n’est pas uniquement votre manière de composer avec la douleur. Il y a aussi tout ce qui a gravité autour de vous d’une manière plus subtile. ­Étiez-vous dans une bulle intime et protégée, ou dans une chambre d’hôpital où les intervenants entraient, vous examinaient, vous parlaient ? ­Sentiez-vous que le travail était trop long, que ça ne se passait pas « comme il faut » ? ­Vous ­disait-on comment faire ? ­Comment vous placer ? ­Comment pousser ? ­Vous ­posait-on des questions qui vous poussaient à réfléchir pour fournir une réponse ?

En raison du fait que ça ne s’est pas passé comme vous l’auriez souhaité, que ­savez-vous maintenant que vous ignoriez ? ­Qu’­avez-vous appris ? ­Car cette expérience peut avoir un impact très porteur pour vous, dans votre rapport à ­vous-même, à votre enfant, à votre partenaire, à la douleur, à la manière de vivre pleinement l’instant
présent, etc.

Et si vous envisagez d’avoir un autre enfant, comment ­voulez-vous vivre ce nouvel accouchement ? ­Que ­ferez-vous différemment ? ­Comment vous y ­préparerez-vous ? (Je ne parle pas de tenter de contrôler les éléments extérieurs, mais plutôt de la manière que vous pouvez plonger dans cette expérience et la vivre pleinement).

Donner naissance, c’est bien ­au-delà du corps ! ­Une mère naît, au cours de cette grossesse… ­Comment être attentive à ce qui se passe en vous, à ce qui s’en vient, sans tenter de contrôler ? ­Si une telle perspective vous inspire, vous pouvez rechercher un accompagnement en préparation affective à la naissance, qui débute dès 20 semaines de grossesse. Il s’agit d’une approche qui vous permet de tisser une relation avec l’enfant à naître bien avant sa naissance. Cela transforme littéralement la manière dont vous vivrez cette grossesse, l’accouchement et la vie après !

En devenant mère, vous explorez une nouvelle facette de vous, et vous expérimentez de manière très intense le fait de ne pas avoir le contrôle. Car s’il vient de vous, votre bébé est une personne à part entière et, si petit ­soit-il, il a sa vie propre que vous devrez, tôt ou tard, renoncer à vouloir contrôler. C’est un peu ce à quoi l’accouchement vous exerce, finalement !

ANNIE ÈVE GRATTON
Annie Ève est formée en programmation -neuro-linguistique (PNL), en préparation affective à la naissance et en kinésiologie. Spécialisée auprès de parents ayant vécu le deuil périnatal, elle accompagne également de nombreux parents à travers différents deuils et défis qu’ils traversent au cours de la période périnatale. Elle fait partie de l’équipe élargie de La Source en Soi.

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Par Annie Ève Gratton

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