D'homme à père, la dépression post-partum au masculin

Ne dit-on pas qu’il n’y a rien de plus beau que l’arrivée d’un enfant? C’est ce que la majorité d’entre nous croit et c’est bien vrai que la naissance apporte son lot de joie et de bonheur. Mais, avec l’arrivée de bébé, certains changements environnementaux et intérieurs vont se produire.

Cette nouvelle vie apporte des modifications dans notre routine, dans notre couple, et même dans nos liens avec nos propres parents. Cependant, les plus grands changements sont souvent internes et difficiles à percevoir. La dépression ­post-partum (DPP) pourrait découler de ces changements internes. Les nouveaux parents, qui ont eu une prise en charge médicale durant toute la grossesse, se retrouvent, une fois l’enfant au monde, laissés beaucoup plus à ­eux-mêmes, évidemment tant que l’enfant n’est pas malade.1 ­De plus, les parents sont aussi délaissés par l’entourage qui porte son attention beaucoup plus au bébé. En moyenne, 13,4 % des parents auraient une prévalence à faire des dépressions postnatales. ­Certaines ressources sont déjà en place pour soutenir la mère dans cette étape difficile, cependant il est plus rare d’entendre que le père puisse vivre un épisode de ­DPP.

Différentes manifestations

La ­DPP est reliée au trouble dépressif comme une spécificité de ce trouble. Ce serait la naissance de l’enfant qui déclencherait ce trouble dépressif spécifique. En soi, la ­DPP chez la mère se caractérise par une aggravation des symptômes dépressifs le soir, des difficultés d’endormissement, de la labilité émotionnelle, etc.2 ­Les symptômes de la ­DPP auxquels il faudrait porter plus attention chez les nouveaux pères sont : 

• Le retrait social ;
• Le surinvestissement professionnel ;
• Le déni de leurs émotions ;
• La rigidité de leurs propos ;
• La colère et l’impulsivité ;
• Les changements de la libido ;
• Les difficultés de concentration, de sommeil et de gestion du poids.

Selon une étude parue en 2007, 4,8 % des pères répondraient aux critères du trouble dépressif pendant la grossesse, mais également pendant les trois mois suivant la naissance de l’enfant.4 ­Ce pourcentage de ­DPP chez les pères a tendance à augmenter durant les 12 mois suivants la naissance de l’enfant passant de 4,8 % à 23,8 %. De plus, si la mère reçoit un diagnostic de ­DPP, le pourcentage que le père ressente lui aussi des symptômes de ­DPP dans les 12 premiers mois passe de 23,8 % à 50 %.5 ­Quelles sont les causes de cette forme de dépression chez les nouveaux pères ?

Comme le père n’a pas porté l’enfant, l’attachement envers ce petit être peut venir plus lentement. L’homme doit passer par un processus d’adoption pour apprendre à l’aimer.6 ­Toutefois, c’est souvent lorsque l’enfant vient au monde que l’homme prend conscience de son rôle de père et qu’il doit aussi apprendre à ajuster sa réalité à celle de l’enfant tout en faisant le deuil partiel de son mode de vie passé.

Pour mieux comprendre ce que les hommes vivent, un groupe de chercheurs a fait une étude qualitative sur les nouveaux pères qui mentionnaient avoir des symptômes de ­DPP. En recueillant les témoignages des nouveaux pères, ils ont remarqué que six thèmes revenaient régulièrement.  ­Voici les sujets les plus souvent mentionnés.

1. Le besoin d’éducation sur la ­DPP et encore plus sur celle vécue par les hommes. Des participants mentionnent qu’ils ne savaient pas que les hommes pouvaient vivre cela et qu’ils auraient aimé avoir de l’information à ce sujet.

2. Le besoin d’adhérer au stéréotype masculin traditionnel. Dans la société traditionnelle, l’homme est souvent encouragé à ne pas parler de ce qu’il ressent et à endurer quand il vit des moments difficiles. Dans l’étude, plusieurs hommes ont mentionné qu’ils savaient que ce n’était pas la bonne chose à faire, mais, par peur d’être jugés, ils préféraient adhérer à la convention sociale.

3. La peur d’exprimer ses émotions. Dans l’étude, plusieurs hommes expliquent qu’ils évitent de montrer leurs émotions, surtout à leur partenaire, pour écarter les inquiétudes et qu’elle le perçoive comme un être faible.

4. Le sentiment d’être souvent ­surchargés et dépassés par ce qui leur arrive. Plusieurs hommes se sentent souvent seuls et isolés de la structure périnatale parce que le système médical met beaucoup plus l’accent sur la mère et le ­nouveau-né. Ils sentent alors qu’ils devraient à leur tour être plus attentifs aux besoins de leur enfant et de leur conjointe. En oubliant de prendre soin d’eux, les hommes peuvent devenir plus confus émotionnellement, ressentir plus d’épuisement et d’impuissance face à leur capacité parentale.

5. Des pensées colériques envers leur ­nouveau-né. Attention, peu de nouveaux pères disent en vouloir à leur enfant. En revanche, certains admettent que l’arrivée du ­nouveau-né chamboule tellement leur univers qu’ils peuvent ressentir de la colère envers lui. Le manque d’attention de la conjointe et le fait d’être continuellement sollicité par le bébé risquent de susciter des sentiments négatifs qui pourraient amener, dans certains cas, à des gestes de violence envers l’enfant.

6. Le sentiment d’être négligés par tous aussitôt que l’enfant voit le jour. Il est vrai que la naissance d’un enfant attire l’attention de tous. Les ressources du système, ainsi que la famille et les amis se concentrent principalement sur la mère et l’enfant. ­Les nouveaux pères mentionnent se sentir très isolés et être placés comme des figurants dans le ­processus parental.

Afin de diminuer le risque de faire une ­DPP et d’augmenter l’attachement du père envers son ­nouveau-né, il est recommandé que le père s’investisse et s’implique dans les démarches avant la naissance. Que ce soit en participant aux rencontres médicales, en décorant la chambre, en s’intéressant au choix des accessoires, en participant aux cours prénataux, etc. Plus le père sera en mesure d’inclure le ­nouveau-né dans sa réalité, plus il va ressentir de l’attachement et l’aimer rapidement.

De plus, il est recommandé de parler de sa réalité de futur père et de nouveau père avec son entourage bienveillant ou avec un professionnel de la santé. Prendre des pauses pour soi, faire de l’exercice physique et retrouver ses passions pour de courts moments sont aussi très bénéfiques. Une bonne hygiène de vie dans cette période où la fatigue peut rapidement se faire sentir est essentielle.

Finalement, si la tristesse nous envahit, si des émotions négatives prennent le dessus de nos pensées, si le sentiment de s’enfoncer ou de ne plus être capable de s’y retrouver se présente, il est capital de consulter sans tarder. Un professionnel pourra vous aider à revoir rapidement la lumière et retrouver la joie dans cette nouvelle étape de la vie.

Charles Lehouillier
Sexologue et intervenant en dépendance. Son but principal est d’aider sa clientèle à tendre vers la meilleure version d’-elle-même. En plus des consultations en présentiel à Saint-Hyacinthe, il fait de la télépratique avec des clients, anglophones et francophones, partout au Canada.

www.centrevaxa.ca •  Facebook: centrevaxa

 

Références

­1-Del ­Valle, E., (2013). Approche psychopathologique des pères pendant la grossesse et en ­post-partum immédiat. À propos de 100 pères rencontrés à la maternité. Faculté de médecine, ­Université d’Angers.

­2-Le ­Coq, M., & ­Williams-Smith, E. R. (2011). Dépression postpartum du père : rôle préventif de la ­sage-femme. Doctoral dissertation, ­Haute École de ­Santé ­Vaud.

­3-Eddy, B., ­Poll, V., ­Whiting, J., & ­Clevesy, M. (2019). Forgotten fathers : ­Postpartum depression in men. Journal of ­Family ­Issues, 40(8), 1001‑1017.

­4-Kim, P., & ­Swain, J. E. (2007). Sad dads : ­Paternal postpartum depression. Psychiatry (Edgmont), 4(2), 35.

­5-Letourneau, N., ­Duffett-Leger, L., ­Dennis, C. L., ­Stewart, M., & ­Tryphonopoulos, P. D. (2011). Identifying the support needs of fathers affected by ­post-partum depression : A pilot study. Journal of ­Psychiatric and ­Mental ­Health ­Nursing, 18(1), ­41-47.

­6-Nanzer, N. (2009). La dépression postnatale : sortir du silence. Favre.

 

Charles Lehouillier

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